Dans un courrier adressé aux principaux et aux professeurs du premier et du second degré, en date du 16 septembre 2013, le DASEN de l’Aisne ainsi que l’IA IPR de SVT dévoilent leur vision du socle commun au nom du rectorat, avant même qu’il soit défini. Vision idéologique, bienveillante en apparence mais lourde de dangers.
Une audace bien fantaisiste
« Au-delà des compétences décrites dans le socle commun, et les programmes disciplinaires, il est important d’envisager l’élève dans sa globalité, en intégrant dans le suivi de son parcours tous les enseignements qu’il a pu recevoir en toutes circonstances, dans et hors l’école, et valoriser chacun en prenant en compte la diversité de ses expériences et de ses ressources. » Voilà ce que nous précisent les auteurs de ce courrier, ne s’appuyant sur rien d’autre que leurs convictions personnelles (ou une injonction rectorale ?) car rien dans le texte de la loi d’orientation ne saurait soutenir cette interprétation.
A Amiens, le rectorat n’hésite pas à composer un groupe de pilotage académique pour la mise en œuvre du socle commun. Que contient ce socle ? Personne ne le sait encore. Comment évaluer le socle ? Personne ne le sait encore. Il sera redéfini par le Conseil Supérieur des Programmes et cela prendra quelques temps. Il semble donc, pour l’administration, que la méthode doit précéder le contenu. Peu importe ce qu’apprend l’élève, l’important c’est qu’il sourie sur la photo de classe et ait l’air épanoui !!
La prudence du ministre sur la note de vie scolaire aurait pourtant pu servir d’exemple à nos managers volontaristes ! Vincent Peillon lui-même hésite à respecter l’engagement qu’il a pris de supprimer cette note, renvoyant à l’indépendance du CSP la responsabilité d’un avis en urgence. Mais non ! Le lobbying exige d’user de sa position dans l’organigramme pour imposer ses idées, sans débat préalable, sans prendre l’avis de la profession.
Bienveillance ou naïveté ?
« L’enseignement par compétences et l’évaluation positive associée sont réaffirmés », nous dit-on. Certes, mais qu’entend-on par compétences ? Ce terme polysémique pose problème dans l’éducation depuis plusieurs années ; personne ne peut l’ignorer. Le Livret Personnel de Compétences, outil contesté par de nombreux collègues et par l’inspection générale elle-même, n’a fait qu’introduire davantage de confusion, en plus d’alourdir la charge de travail des collègues. Pour l’heure, aucun consensus construit n’existe sur le sens qu’on doit donner à ces termes ‘d’enseignement par compétences’.
Si l’évaluation doit être considérée comme un élément qui aide l’élève à se construire, ce que le SNES défend, faut-il pour autant considérer que l’individu doit être systématiquement évalué dans toutes ses dimensions ?
L’idée peut sembler généreuse et bienveillante a priori : valoriser l’élève doit être un souci permanent des enseignants. Toutefois, valoriser et évaluer systématiquement ne sont pas choses égales et ne doivent pas se confondre. Car enfin, évaluer à l’école des éléments qui n’y sont pas enseignés pose notamment un problème de déontologie et d’égalité de traitement des élèves. En effet, la réalité du contexte économique et social et l’inégalité des élèves en terme « d’expériences » et de « ressources » ne peuvent être ignorées. Le système scolaire français est déjà l’un des plus inégalitaires des pays membres de l’OCDE. Il faut donc rénover ce système mais les incitations qui nous faites dans ce courrier, qu’on pourrait au mieux qualifier de naïves, seraient assurément funestes pour les élèves qu’elles prétendent vouloir mettre en valeur et aider, à savoir les élèves issus des couches sociales les plus défavorisées. Les plus favorisés trouveraient là, à nouveau, toute latitude pour tirer leur épingle du jeu.
De plus, le traitement systématique des élèves sous l’angle de l’individualisation forcenée pose d’autres problèmes. Si l’élève, futur citoyen, n’a plus comme appui que sa seule personne, que ses compétences propres, il sera alors bien isolé sur le marché du travail, en proie à une compétition permanente, seul contre tous. Est-ce là un projet de société progressiste ? Est-ce là la seule perspective que nous aurions à proposer aux générations futures ?
A l’opposé de cette vision, le SNES soutient la nécessité de maintenir l’idée de qualifications collectives reconnues au travers des diplômes et propose de construire une plus grande solidarité entre les élèves, notamment au travers de méthodes pédagogiques davantage collaboratives. Il propose également de réfléchir collectivement et sérieusement, en se donnant le temps, à l’évaluation en partant du principe qu’elle n’a pas à envahir et régir la vie des individus dans tous ses aspects.
Avant d’imposer une quelconque « bonne pratique » de façon discutable, le SNES ne saurait que conseiller à notre administration de prendre en compte les expériences internationales peu encourageantes quant à l’enseignement par compétences, notamment celles conduites au Canada, en Belgique ou en Suisse. Les bilans ne sauraient qu’inciter à la prudence. Par ailleurs, sur la méthode, il serait grand temps que nos supérieurs se décident enfin à écouter et entendre davantage la profession sur des sujets qui la concernent directement, tant sur le fond que sur la forme.