Dans l’ensemble des assauts menés contre le « Code du travail », on reconnaît les stratégies, et le même art de pervertir les mots et le bon sens, propres au libéralisme tel qu’il veut s’imposer depuis le 19e siècle : empêcher la force collective syndicale (donnant trop de voix aux salariés) ; faire obéir, par leur précarisation, les salariés aux lois du marché (qui ne sont pas à confondre avec les lois de la République) ; effacer de la mémoire collective des pans entiers de l’Histoire, pour faire croire qu’une page serait tournée (c’est la « modernité ») sur des acquis sociaux fondamentaux et sur leurs enjeux ; faire croire que le système marchand libéral et concurrentiel est un fait naturel et sans alternative (vieux mythe de Monsieur Thiers) ; confisquer la démocratie au plus grand nombre en démoralisant les électeurs, les oppositions, les citoyens qui veulent se défendre, et les énergies du débat.
La « loi de la jungle libérale » (le terme « libéral » étant déjà en soi un exploit de perversion sémantique), où une caste dirigeante très psychorigide et mégalomane entretient, pour la pérennité de son seul pouvoir, l’illusion d’une répartition juste des richesses et de la sécurité de chacun par le jeu magique des concurrences et des intérêts tout individuels, cette « loi de la jungle » se généralise comme un cancer, et elle ne prolifère pas que dans le secteur privé ; elle atteint et dégrade aussi le Service public (une cible à abattre), par une transposition incongrue d’impératifs marchands non démontrables qui ont surtout pour effet de dénaturer les Services Publics, et parmi eux l’Ecole Républicaine.
Comme dans d’autres domaines, les gouvernements libéraux (i.e. au service de la liberté des profits) réforment l’Education Nationale, sous l’apparence de « vertus » d’égalité, de flexibilité, de rentabilité, d’économie… Le mécanisme global mis en œuvre avec chaque réforme et mesures budgétaires montre de plus en plus clairement ses effets : perte d’attractivité du métier (malgré la fameuse sécurité de l’emploi) avec un recrutement en chute libre aux concours, augmentation du nombre de contractuels à court terme (qui ne sont jamais titularisés), inefficience de procédés pédagogiques, parois farfelus, sans moyens ni raisons, fuite des élèves dans les écoles privées, majoritairement confessionnelles, largement subventionnées, voire sponsorisées (Dieu ne pourvoit pas à tout), volonté de diminuer le nombre d’enseignants en les rendant polyvalents et en globalisant les heures de cours (voir le dernier rapport de la Cour de Comptes)… Et ce désordre organisé, cette dégradation qui s’impose comme si elle était fatale, voit apparaître les premières opérations d’achat de l’Education Nationale par des sociétés propageant leur logique et leur vocabulaire marchands. Voir, par exemple, le site de Teach for France, dont l’action est présentée comme une espèce de mission caritative, mais dont l’organisation se prêterait aisément à une OPA beaucoup plus vaste sur le Service Public. Soulignons notamment que parmi les arguments de Teach for France nous trouvons : « 17% des postes ouverts de recrutement d’enseignants n’ont pas été pourvus en 2015 ». Vous voyez où l’on veut en venir…
8 mai 2018