L’analyse et l’action syndicales apportent aux enseignants une perception et une maîtrise émancipées et collectivement conçues, revendiquées, de leur métier.
Or, les gouvernements successifs, qui servent tous une doctrine productiviste, aux éléments de langage et aux méthodes relayés avec zèle par certaines directions d’établissements et instances académiques ou rectorales (parfois sans en être conscientes) accusent le syndicalisme de s’opposer au « progrès », c’est-à-dire aux « réformes ».
Mais de quel « progrès » s’agit-il ? Celui des remèdes mensongers devant soi-disant répondre à l’inefficacité d’une Fonction Publique que les gouvernements dits « libéraux » ont continuellement cherché à affaiblir et à démanteler ? Celui qui voudrait rendre coupables, en premier chef, les enseignants d’une sorte de vaste échec de l’éducation et de la formation, quand l’échec est bien plutôt celui d’une Société où la précarité, les lois du marché, le « pragmatisme » immoral, l’appauvrissement culturel et l’individualisme génèrent justement ce qui entravent les missions fondamentales de l’Ecole : notamment donner aux futurs adultes et aux familles les moyens de ne pas se limiter aux déterminismes sociaux et économiques, de ne pas être dupes d’accompagnements en réalité trop fragiles et incohérents pour être efficaces, justement par manque d’engagements de l’Etat. Que veut-on ? Des masses d’adultes pas même arrivés jusqu’en 6e pour alimenter les besoins d’une corvéabilité à peine digne du 19e siècle ? C’est ça, le « progrès » ?
La difficulté du travail est devenue telle que les collègues en viennent parfois à adhérer à toute réforme faisant reluire l’espoir d’avoir des classes CAMIF ou des pédagogies miraculeuses sans risque d’échecs et sans les douleurs des efforts. Là, le syndicalisme peut être une gêne, on comprend. Mais il ne faut pas se laisser berner : l’intégration de tous les problèmes sociaux et existentiels à l’Ecole au risque d’une inefficacité grandissante, au risque de son implosion est le résultat de la réduction de Services publics concertés qui ont pourtant des savoir-faire, des exigences et un sens de l’équité bien supérieurs à des prestataires privés (quand ils existeraient) : moins de pouvoir aux enseignants, moins d’heures de soutien, moins d’infirmières et médecins scolaires, moins de SEGPA, moins de travailleurs sociaux, des CESC insuffisamment financés et ciblés…
Quand on dit que l’Education nationale coûte trop cher, c’est le peuple qu’on accuse de coûter trop cher. L’Etat possède les moyens techniques d’assurer le financement d’une éducation complexe mais ambitieuse adaptée à une société complexe et trop fracturée. C’est l’idéologie « libérale » qui s’y oppose, et en accusant les enseignants des échecs qu’elle provoque, afin de servir ses seules vues productivistes et socialement aliénantes. Rappelons-nous que près du double du budget de l’Education Nationale est perdue chaque année pour l’action de l’Etat en fraudes et évasions fiscales.
10 juin 2018