Faussement fondé sur une démocratie affichée, peut-être authentique et (certes) naïve dans les années 70, mais depuis longtemps prise en main par des technocrates et des « petits-chefs » très mêlés à la logique marchande, le procédé de faire noter, évaluer, les enseignants par leurs élèves est une pratique fréquente dans des écoles privées, une pratique qui n’instaure pas une ouverture au dialogue et aux clarifications bénéficiant à l’apprentissage et à l’exigence des savoirs, mais qui instaure plutôt un rapport malsain entre l’apprenant et son enseignant, entre les enseignants eux-mêmes, un rapport d’oppression des directions envers les enseignants, et un rapport ambigu, voire dévastateur, entre les élèves et le savoir, l’effort, l’impératif de réalité.
L’élève construit lui-même l’image d’un enseignant qui va correspondre à ce qu’il souhaite : autant dire qu’il veut ce qui lui convient au nom d’intérêts largement marqués par ses repères familiaux, sa classe sociale, mais aussi par des motivations pouvant être très variables, très influençables, par exemple selon des effets de modes, ou, aussi, selon un format de pensée instillé par les directions des établissements. L’enseignant devient alors de plus en plus tenu de correspondre à un « profil », jusqu’à mettre en péril ses facultés de jugement, d’analyses, la rigueur de son savoir et l’équilibre de sa psychologie. La frontière entre l’exigence des savoirs et la démagogie commerçante peut être alors très poreuse.
L’enseignant devient clairement un vendeur, et l’élève un client : le client est roi, comme l’enfant peut être roi. Là, les critères d’expertise des savoirs et des méthodes s’inversent, et sombrent même dans la confusion. Et les instances directrices profitent sans vergogne de cette sorte de perversion pour des bénéfices qu’il serait urgent d’évaluer. Si l’on doit évaluer l’évaluateur, alors que les directions soient évaluées par leurs salariés. On pourra ensuite parler de démocratie au travail.
Si l’on a encore quelque honnêteté intellectuelle et quelques notions de morale, on est sidéré, quand on les examine, par la nature et l’instrumentalisation de ces curieuses évaluations des enseignants par leurs élèves.
Si l’enseignant, selon son statut, ses prérogatives professionnelles, doit évidemment fonder ses évaluations sur des critères bien motivés et des échelles précises, en prenant en compte tout un contexte (et la durée de progression), par contre, les évaluations faites par les élèves sont autrement plus subjectives, souvent caricaturales, voire infantiles, parfois calomnieuses, injurieuses et vexatoires, fondées sur des critères qui relèvent de la triste farce. Par exemple : un prof est « mauvais » par ce qu’il « reste assis sur sa chaise en amphithéâtre » (Le mode opératoire préconisé étant sans doute de s’agiter et d’occuper tout l’espace de l’amphithéâtre (gradins inclus) afin de maintenir en éveil constant des étudiants qui ne pourraient apprendre et être concentrés sans un jeu de scène de leur animateur… on touche là le fond du ridicule), ou encore, « l’enseignante n’a aucune pédagogie », car « elle ne varie pas ses contenus » (comme si les savoirs allaient changer à loisir). Certains professeurs d’universités, d’une grande force intellectuelle et d’une haute érudition, intervenant dans ces si nombreuses « grandes » écoles privées se voient parfois traités comme de petits employés commerciaux qui ont intérêt à « plaire à leur client ».
Trop souvent, avec ce procédé, des directions organisent une véritable surveillance oppressante et menaçante des élèves sur les enseignants. Des directions vont jusqu’à précariser l’emploi des enseignants en les mettant à la merci de taux chiffrés de satisfaction dont les conditions de calculs sont dissimulées et en-dehors de tout cadre contractuel. Des directions s’improvisent expertes dans telle ou telle discipline et doublent leurs jugements mal fondés d’une mauvaise foi à peine croyable. Des directions (pédagogiques et administratives… les deux étant de plus en plus corrélées, non sans mélange des genres) incitent et même enjoignent les élèves à établir des rapports plus ou moins réguliers sur leurs enseignants, et s’en saisissent pour s’adonner à toutes les interprétations et instrumentalisations, à leur seule discrétion, qui leur seront « utiles », pour oppresser, harceler, menacer les enseignants – avec l’intention d’en venir à des démissions, des ruptures anticipées calamiteuses, des licenciements « facilités » dont le caractère abusif n’est pas chose rare.
Cet état des lieux peut contribuer à la réflexion sur le glissement de l’Enseignement public dans les schémas, inappropriés et nocifs, du management, quand les exigences du Fonctionnariat d’Etat sont abandonnées pour mieux servir une idéologie du « Patron-Providence » et du consumérisme.
Que faire ? Défendre ses droits, défendre son métier. Si nous sommes dans un pays de droits, c’est parce que nous sommes dans un pays de lois.
Si vous êtes enseignant sous contrat, faites valoir les seules prérogatives de votre contrat. La plupart du temps, les directions commettent un abus avec ces modes d’évaluations dans la seule mesure où rien n’est en réalité fixé contractuellement à ce sujet. Tant qu’aucune obligation n’est écrite clairement sur le contrat concernant un taux de rentabilité, de satisfaction du service d’enseignement, avec chiffres, sources, formes de cette évaluation, les pressions opérées par les élèves et les directions sont fondamentalement discutables.
Il est également tout à fait possible de saisir les instances judiciaires et juridiques face à des abus : des allégations, des témoignages sur des preuves très minces, des interprétations exagérées ou ambiguës de témoignages, des incitations à la calomnie, un recours injustifié à l’anonymat d’une mise en cause à votre encontre… tout cela peut entrer dans les préjudices définis par le Code pénal, et pas seulement le Code du Travail. Par exemple, peu de salariés savent que des accusations ou propos infondés à visée vexatoire, même dans le cadre interne d’une réunion, d’un courrier interne, peuvent être définis comme « Diffamations non publiques », avec dépôt de plainte auprès du Commissariat de Police, et poursuites pénales.
Le fonctionnement interne d’une entreprise (privée ou publique) ne saurait évidemment, dans un Etat de droit, prévaloir sur les lois stipulées dans les Codes Républicains.